Le projet de la Bible française

[Note de la rédaction : après la publication de cet article, en 2014 la version de David Martin a été remplacée par la version dite de Lausanne.]

Introduction du directeur éditorial

L’article qui suit cette introduction a été préparé par un membre de l’équipe en charge de la révision de la Bible française pour expliquer en détail la nature et le type des modifications effectuées dans la Bible Martin de 1712 sous la supervision de la Société Biblique Trinitaire. Pour situer l’article dans son contexte, il est utile de fournir un bref résumé de la situation actuelle du projet et aussi un petit historique de la Bible française choisie par la Société pour être révisée.

Premièrement, l’année dernière, consciente de l’importance de produire une copie fidèle et exacte des Écritures dans la langue française, c’est-à-dire une Bible de Genève pour le 21ème siècle, la Société a donné plus de place au projet de la révision de la Bible en français. Devant le nombre de versions françaises déjà existantes, l’équipe de révision est allée au-delà en projetant de réviser en profondeur la Bible Martin afin que cette version soit plus compréhensible dans toutes les régions francophones.

Deuxièmement, il est important de se rappeler que la Bible Martin est la dernière révision officielle d’une longue série de celles qu’on a appelé «les Bibles de Genève». La Bible d’Olivétan a été la première Bible française traduite à partir de l’hébreu et du grec. Cette Bible fut par la suite révisée par Calvin (même si Calvin a utilisé sa propre traduction dans ses commentaires), par Bèze, Robert Estienne, puis à nouveau par Bèze. Plusieurs révisions furent effectuées jusqu’à ce qu’une révision majeure apparaisse en 1588. Après celle-ci, il n’y a plus eu de révision importante pendant plus d’un siècle.

En 1696, Martin publia sa première édition du Nouveau Testament en français et entreprit une révision officielle de la Bible en suivant la Bible de Genève de 1687, dite de Blaeu et ce, à la demande des Églises réformées réfugiées aux Pays-Bas. Ceci conduisit à la publication de la Bible Martin de 1707 qui perpétua la tradition de la Bible de Genève.

La dernière révision de Martin fut publiée en 1712. Elle est presque identique à celle de 1707 avec une légère amélioration au niveau du langage. Toutefois, pour des raisons inconnues, l’édition de 1712 n’a pas fait apparaître tous les mots ajoutés en italique – généralement utilisés pour compléter le sens de la phrase dans une traduction – mais ces mots ajoutés ont été imprimés avec des caractères typographiques droits. Il semblerait qu’il y ait eu un changement d’optique entre ces deux éditions. Ceci étant, la Société utilise une combinaison de l’édition de 1712 et de 1707 comme base pour la révision de la Bible française.

La société est toujours à la recherche de collaborateurs compétents et désireux de collaborer à ce travail de révision. Ceux-ci partageront les soucis de la Société visant à préserver l’héritage réformé en français et oeuvreront dans son esprit pour soutenir le travail de ceux qui se sont déjà volontairement attelés à cette tâche. Nous espérons aussi que l’article qui suit encouragera les croyants à prier pour que Dieu envoie des personnes pour ce travail.

Le projet de la révision de la Bible française, par Timothée Ross

Dans les pays qui bénéficient d’un héritage protestant, les traductions dans la langue du peuple sont devenues les piliers de la société. En Angleterre et en Allemagne par exemple, les Bibles en langue vernaculaire étaient mémorisées, prêchées en chaire, lues dans les foyers, citées par les magistrats et les poètes, et utilisées pour apprendre aux jeunes à lire et à écrire. L’influence constante de ces traductions sur la langue et sur la société est inestimable.

Sous la providence de Dieu, les protestants francophones n’ont cependant pas pu jouir d’un contact permanent avec les monuments bibliques issus de la Réforme. Contraints de fuir leur patrie, les huguenots ont emporté avec eux leurs précieuses Bibles françaises, et ont vite perdu leur héritage à la fois chrétien et littéraire. La Bible de Genève était pendant longtemps un livre banni en France, elle n’eut que très peu d’impact sur l’évolution de la langue française comme ce fut le cas pour la Version Autorisée anglaise (ou Bible King James). C’est pourquoi, dans ces traductions, le lecteur moderne est frappé par le langage dépassé et même peut rencontrer des passages incompréhensibles. Il est évident que les changements dans la langue française nécessitent une révision de la Bible de Genève.

En vous épargnant certains détails de la révision de la Bible Martin de 1712, nous avons pensé qu’il serait utile de vous présenter les différents types de modifications qui sont nécessaires, notre Bible devant être lue pour devenir une source de bénédiction pour les francophones du monde entier.

Toute révision d’une ancienne traduction exige que l’on porte une attention particulière autour de trois grands aspects du langage : la syntaxe (structure), le lexique (vocabulaire) et la sémantique (signification). Sur ces trois points, et bien sûr la question primordiale du style, nous allons considérer plusieurs exemples de révision dans la Bible Martin de 1712. Nous espérons que cet aperçu permettra de clarifier la portée de notre travail, justifiant ainsi le besoin d’effectuer une telle révision.

La structure (syntaxe)

La plupart des changements structurels sont simples. Il s’agit typiquement de changements dans l’agencement des mots pour montrer plus correctement les relations entre eux.

Un exemple évident est la manière dont le français moderne utilise la phrase négative. La forme la plus élémentaire d’un verbe au négatif implique l’ajout des mots «ne … pas» autour du verbe principal ou de son auxiliaire, comme dans «je ne veux pas». Au moment de la dernière révision officielle de la Bible issue de la Réforme, qui a abouti à la Bible Martin de 1712, l’usage était de construire la négation avec «ne … point». Alors qu’aujourd’hui, «ne … point» est une expression purement littéraire. Nous avons donc modernisé en remplaçant «ne …point» par «ne … pas».

Un autre aspect de syntaxe qui nécessite une révision systématique concerne l’évolution de l’emploi des prépositions. Le français a deux prépositions qui signifient presque la même chose : «en» et «dans». Bien qu’il existe des points de convergence, les deux prépositions sont généralement utilisées selon les circonstances. Depuis le 18ème siècle, la préposition «dans» est devenue prédominante, «en» étant de plus en plus restreinte dans son emploi. Par exemple, dans Matthieu 16.28 («qu’ils aient vu le Fils de l’homme venir en son règne») on ne devrait plus lire «en son règne» mais plutôt «dans son règne». Il existe beaucoup de changements nécessaires comme celui-ci. Par contre, il y a des cas où «en» reste préférable, par exemple dans Matthieu 1.20 ; 2.12,13 où «en songe» est devenu «dans un songe» dans la Bible Martin de 1712. Ce changement a notamment l’avantage de rapprocher ces passages plus près de l’expression grecque au niveau sémantique.

L’évolution dans la façon d’utiliser les verbes a été une grande préoccupation de la révision. Par exemple, des défenseurs de la langue française sont devenus plus nombreux à déconseiller la voix passive, et par conséquent beaucoup de verbes ne pourront plus conserver cette construction. Plus d’une fois, les traducteurs modernes ont tout simplement renoncé à rendre la voix passive du verbe grec original. Pour ceux qui soutiennent l’inspiration verbale et plénière des Écritures, une telle approche est, à tout le moins, insatisfaisante.

Par exemple, le participe passif grec est traduit par «avait été parlé» dans Matthieu 4.14, 8.17 et 12.17 comme nous le voyons dans 4.14 : «afin que fût accompli ce dont il avait été parlé par Ésaïe le prophète». Cette traduction a soulevé un problème. Pendant des siècles, n’importe qui pouvait utiliser le simple verbe «parler» à la voix passive. Aujourd’hui, on ne peut plus utiliser «parler» de cette façon. Les références bibliques de tous ces versets traitent d’une annonce divine. Ce sont les paroles que le prophète en tant qu’envoyé officiel de Dieu a déclarées ou annoncées. En effet, le verbe grec (λέγω) peut vouloir dire «déclarer» ou «annoncer». Tandis que «parler» ne peut plus être utilisé dans ce cas précis car le verbe «annoncer» peut être utilisé dans la forme passive. Afin de rester fidèle à la structure originale et au message de la Parole de Dieu, ces passages dans l’Évangile selon Matthieu ont été révisés, par exemple «afin que fût accompli ce qui avait été annoncé par Ésaïe le prophète».

Le vocabulaire (lexique) et la signification (sémantique)

Comme beaucoup de langues au cours des trois derniers siècles, la langue française a connu plusieurs modifications officielles de son vocabulaire. Certains mots sont devenus obsolètes. D’autres ont été marginalisés, et par conséquent, ne sont compris que par peu de gens. D’autres encore ont radicalement changé de signification ou même de fonction. Pour ne citer qu’un exemple dans cette dernière catégorie, jusqu’au 19ème siècle le mot français «incontinent» était utilisé comme un adverbe et signifiait «immédiatement» ou «aussitôt». Par exemple : «Et Jésus étendit la main, et le toucha, en disant : Je le veux, sois pur ; et incontinent la lèpre le quitta (Luc 5.13). Aujourd’hui, «incontinent» est utilisé exclusivement comme un adjectif et signifie totalement autre chose. C’est pourquoi ce mot ne peut être retenu dans notre version.

Bien entendu, les révisions qui tiennent compte des évolutions de la syntaxe française au fil du temps permettent aux lecteurs de lire la Parole de Dieu plus aisément. Ceci est aussi valable pour les francophones vivant hors de la France. Un lecteur des Caraïbes ou en Afrique pourrait être perplexe en voyant le verbe «venir» avec la construction réflexive «s’en venir» dont la forme a pratiquement disparu du langage (ex. : «Or ses compagnons de service voyant ce qui était arrivé, en furent extrêmement touchés, et ils s’en vinrent, et déclarèrent à leur Seigneur tout ce qui s’était passé» Matthieu 18.31). Il est simple d’éviter la confusion en remplaçant les anciennes expressions par la forme moderne utilisée par tous les francophones, par exemple : «Or ses compagnons de service voyant ce qui était arrivé, en furent extrêmement touchés, et ils vinrent, et déclarèrent à leur Seigneur tout ce qui s’était passé» (Matthieu 18.31).

De même, en revoyant le vocabulaire utilisé dans notre révision de la Bible, nous pensons à toutes les populations francophones. En exemple, nous pouvons citer le mot «bourgade» qui signifie petite agglomération de la campagne (ex. Matthieu 9.35 ; 10.1 ; 14.15 dans la Bible Martin de 1712). «Bourgade» est tout simplement le diminutif du mot «bourg». Bien qu’il soit presque oublié, la majorité de la population française comprend encore ce mot. Toutefois, il n’en est peut-être pas de même pour les francophones d’un héritage non européen. Comme en anglais, «village» est le mot universellement utilisé en français moderne pour décrire une petite agglomération rurale. Il est l’équivalent du terme grec «κώμη».

Le style

Pour nos besoins, nous définissons le «style» d’une manière générale comme la voix de l’auteur ou même de sa personnalité (voir Actes 13.27 «les voix des prophètes») dans son choix des mots, de la structure des phrases et du ton des idées. En ce qui concerne la traduction de la Parole de Dieu, l’inspiration divine règle la question du style. Les réformateurs et leurs successeurs ont reconnu ce fait. Ils ont compris qu’en traduisant dans la langue courante, il était primordial de refléter les originaux divinement inspirés, même jusqu’aux styles utilisés par les auteurs inspirés. Nous recherchons non seulement l’équivalence proche pour restituer le contenu mais aussi, dans la mesure du possible, la représentation de la forme en saisissant la voix de l’auteur.

Les Bibles de la Réforme sont des modèles de fidélité, et à cause de la précision de la Bible de Genève, nous avons moins de choses à corriger. Ceci étant dit, il y a quelques aspects concernant le style qui requièrent de l’attention.

La simplification du texte est un aspect du style que nous avons pris en compte. Au cours des révisions successives, un nombre croissant de mots inutiles ont été mis en italique dans la Bible de Genève. Notre réflexe a été d’éliminer ces italiques qui n’étaient pas strictement nécessaires pour la syntaxe ou pour la compréhension du texte. Dans Matthieu 11.20 par exemple, l’auteur de l’Évangile nous rapporte : «Alors il se mit à reprocher aux villes où avaient été faits la plupart de ses miracles, de ce qu’elles ne s’étaient pas repenties, en leur disant : (…)». Après la phrase «de ce qu’elles ne s’étaient pas repenties», les dernières révisions de la Bible de Genève ont ajouté les mots en italique «en leur disant». Matthieu a déjà déclaré que Christ a commencé à faire des reproches aux villes. «En leur disant» n’est pas nécessaire pour la bonne compréhension du récit. Il n’y a donc aucune raison de conserver ces ajouts. En effet, de tels ajouts s’éloignent du style de l’auteur inspiré.

Un autre exemple de la simplification du texte se trouve dans les Béatitudes au chapitre 5 de l’Évangile selon Matthieu. La Bible de Genève, comme la Version Autorisée anglaise, comporte le verbe «être» pour aider le lecteur : «Bienheureux sont les pauvres en esprit ; car le royaume des cieux est à eux» (Matt. 5.3). Contrairement à la version anglaise, le verbe n’est pas forcément nécessaire en français. Il est sous-entendu. Au niveau du style, on améliore le texte en retirant cet ajout : «Bienheureux les pauvres en esprit ; car le royaume des cieux est à eux». Vu que cette version correspond mieux au texte grec, ceci est préférable.

Le souci de rester fidèle au contenu nous amène aussi à faire des modifications occasionnelles. Un exemple se trouve dans Matthieu 11.19. Olivétan (1535) a correctement traduit le grec «ἁμαρτωλος» (amartolos) par «pécheurs». À un moment de l’histoire de la version genevoise, l’expression «gens de mauvaise vie» a remplacé la traduction d’Olivétan. Bien qu’il soit évident que l’apparence extérieure du péché est mise en avant dans ce passage, il n’y a pas de raison de s’écarter du style original de l’Écriture Sainte. «Ἁμαρτωλος» (amartolos) est précisément traduit par «pécheur» en français.

Conclusion

Pendant le grand réveil au début du 19ème siècle, les francophones de Suisse et de France convertis au Seigneur ont veillé à ce que la Bible Martin soit continuellement imprimée. On savait que les hommes du réveil chérissaient leur Bible Martin. Adolphe Monod, le célèbre prédicateur réformé, avait toujours la version de Martin sur son pupitre. Ces chrétiens appréciaient spécialement cette Bible à cause de sa fidélité à la Parole préservée de Dieu. Bien que ce texte choisi par nous ait vieilli en quelques endroits, la Bible Martin conserve toute la vigueur que procure une version littérale. Par la grâce de Dieu, cette Bible de Genève dans sa forme révisée continuera à servir l’Église de Christ dans le monde francophone.

Nous espérons que cet aperçu général aura donné au lecteur une idée plus claire des raisons pour lesquelles une révision attentive de la Bible Martin est nécessaire. Nous avons besoin que vos prières accompagnent le difficile travail de révision, car il reste beaucoup à faire. Priez que Dieu nous accorde le discernement. Priez que notre Père glorifie Jésus-Christ et que cette révision fasse grandir Son royaume. «Les royaumes du monde sont passés à notre Seigneur, et à son Christ, et il régnera aux siècles des siècles» (Apocalypse 11.15).

Octobre 2012.